Quand la pluie se fait infernale.
L'impossible Reine / De la guerre à la paix
Cinq lustres après la mort d’Arthur, une rumeur commence à se répandre en Bretagne. Il se raconte la même histoire presque partout où l’on peut boire de l’alcool et parier sur des lancers de dés, une histoire impossible. Une jeune femme a déployé son aura au-dessus de la tête des nobles du pays. Le moindre petit Baron de l’île aurait été vaincu en combat singulier par cette jeune inconnue. Deux saisons plus tard, ces récits de taverne sont devenus une réalité qui n’est plus contestée et la légende d’Elyr Ann Pendragon prend corps. Elle retire comme son antécédent, l’épée du rocher. Elle déclare être la petite-fille d’Arthur et serait donc fatalement, la fille de Mordred. Femme anonyme, enfant trouvée, si elle n’avait bâti sa réputation en amont de sa conquête de l’épée, sans doute que personne ne l’aurait crue. La suite est d’ores et déjà écrite dans les chansons et récits qui racontent Les Noces de Glace et de Feu, car la jeune Pendragon a par ailleurs l’outrecuidance d’aimer le dernier fils de l’ennemi héréditaire de son grand-père.
L’enfant autrefois sauvé du massacre, revenu pour être Roi parmi les hommes, est son promis. Gareth Orkney McLeod serait donc de retour ? Ou est-ce juste une tromperie de plus ? Et si c’est le cas, qui en tire les ficelles ? Contre tous les oracles, Elyr Ann annonce ses épousailles. Elle convie tous les beaux messieurs et belles dames, Pairs du royaume, à festoyer par là même pour célébrer l’unification de la Bretagne. Tout le monde répond à l’invitation mais il est rapidement évident que tous ne sont pas à la fête, même si le vin coule à flots. Ce mariage était tellement inattendu, qu’il paraît encore comme contre-nature à la plupart des sujets bretons.
Les Noces de Glace et de Feu du printemps 515 sont d’ailleurs ternies par le sang de plusieurs hôtes dont les morts n’ont pas été forcément résolues ni vengées par la suite. Quatre illustres personnages ont perdu la vie en ce soir de liesse et c’est un bien mauvais présage qui est, dès le matin, lu dans les nuages encore empourprés des éclats de sang de la veille. L’unité de la Bretagne est conquise à l’arrachée, mais surtout grâce aux liqueurs servies lors du grand banquet des épousailles et aux vins byzantins renversés sur la Nouvelle Table Ronde. Quelques irréductibles du Pengwern ne plient point le genou devant les forces assemblées de Logres, d’Alba et des Borders, mais cela fut considéré sans réelle importance. Les Noces s'achèvent sur quelques morts bien malheureuses qui provoquent quelques oracles détestables... mais qui auront pourtant raison. Presque trois années de sécheresse vont alors accabler le pays. Les bretons s'enfuient, s'entretuent, ou meurent de faim...
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A la suite de cette sécheresse, les trois derniers mois du printemps de l’an 518 qui auraient pu sonner comme une délivrance, sont encore pires. Les orages reviennent enfin, au terme de ce qui s’appelle encore le printemps mais n’en a plus la forme ni l’odeur, et noient totalement la terre devenue aride. La pluie tant attendue ne cesse de tomber pendant près de trois lunes. Alors, les morts mal enterrés, les mortes dédaignées, les corps perdus, les enfants noyés, les anciens dont les descendants ont oublié le nom, tous se relèvent pour venir tuer qui ses petits enfants, qui ses nièces, qui ses fils ingrats ou bien son compagnon assassin...
Cette première vague de morts noyés, comme on les appelle bien vite, fait une blessure béante au coeur du peuple en frappant d’un visage familier toutes les familles de Bretagne... Ensuite la boue, partout la boue et la pestilence des marécages comme en Lombardie, engendrent leur lot de conséquences funestes !
Les mouches et les midges comme importés par les vents du sud qui accompagnent cette averse interminable, se multiplient pour soudain dévorer du breton. On en vient bientôt à regretter la sécheresse. C’est alors que la mer se prend de jouer elle aussi sa détestable partition dans cet assaut innommable. Depuis le large, des morts noyés reviennent dans les terres, mais ceux-là sont des étrangers. Ces ennemis déjà vaincus et déjà morts réapparaissent donc en Britannia. Des vikings abîmés non loin des côtes à l’est, au nord ceux qui étaient tombés devant les pictes, des hiberniens à l’ouest aussi et… Des romains au sud aurait-on pu croire, mais non... Le sud reste un littoral sûr durant ce conflit magique. Cependant, depuis les rivières et les puits, on voit encore sortir les morts oubliés, les ancêtres sans sépulture laissés à moisir là sans plus de cérémonie, selon l’humeur de l’élément liquide qui réveille l’enfer. La mort humide vient donc par vagues comme pour engloutir la Bretagne asséchée. Personne ne pouvait prévoir que la grande île serait prise d’assaut par ces cadavres gorgés d’eau.
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La résistance des Bretons à leur destin prend corps dans le comté de Wiht à l’été 518, dans le sud de l’île. C’est là que les forces de tout Britannia se sont retranchées pour vaincre ou mourir. Leur état-major est composé des ambassades de chacun des grands vassaux de Pendragon. En effet, tous les Pairs du Royaume ou presque ont été vaincus à domicile. Ils ont résisté plus ou moins longtemps mais finalement, ils ont tous cédé sous les assauts répétés de l’océan d’un côté et de la mer de l’autre. Fuyant leurs domaines respectifs, ils se sont rejoints sur la route du sud, jusqu’à se retrouver en Wight, plus bas que le mont Badon. Là, comme archivée à l’ombre de ce pauvre monticule où Mordred et Arthur se sont entretués trois décennies plus tôt, la légende irait-elle se répéter en broyant les Bretons comme un dragon peut mâcher ses mots ?
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Le combat s’achève dans une tempête d’acier. Les créatures ancestrales qui se sont relevées elles aussi, rejoignent enfin la bataille. Hamlet Vanessen, le Roi des Danes mort durant les Noces de la Reine, revenu tantôt d’entre les morts lui aussi, armé d’un Mjölnir fort à propos, mène les Morts-Noyés au-devant des derniers combattants bretons. L’union sacrée prévaut et longtemps les combattants bretons ont le dessus, jusqu’à ce qu’Hamlet fasse parler son marteau et des forces supérieures sont bientôt nécessairement convoquées pour abattre les morts noyés. Les Consuls font démonstration de pouvoirs jusque-là inédits. Par ici ils figent des guerriers lourds d’un seul mot avant que de les fendre de leurs lames d’acier noir. Par là ils détournent d’un geste la charge des Sarmates et le combat s’éternise au point de sembler déjà perdu. Le goût de la défaite annoncée n’est pas si amer pour les combattants qui donnent alors tout ce qu’ils ont. En face, les motivations d’Hamlet semblent changer au fur et à mesure des combats. Lors d’un banquet donné en soirée, comme monté pour une veillée funèbre, il dit aux bardes et skaldes qu’il a convoqués, être revenu offrir une mort glorieuse à ceux que les anciens dieux ont abandonnés.
D’une improbable confiance en ses propres mots, il obtient que les bretons et leurs alliés chantent les funérailles guerrières de ses hommes avant les batailles du lendemain, pour qu’ils puissent ensuite revendiquer leur place au Valhalla... Et les défenseurs de Britannia de s’exécuter, reconnaissant la noblesse de ce geste devant l’éternité. Puis la bataille fait rage et… le «â€¯héros » mort-vivant est finalement vaincu. Ses soldats décharnés et imbibés de l’Enfer liquide des grecs, sont quant à eux repoussés vers le nord. Comment cela fut-il possible ? Il est rapporté que ce fut grâce à la complainte de la Pythie venue de Byzance et dit-on aussi, par le pouvoir que Myrdhinn possédait alors encore sur son territoire du Dyfed. Depuis ce moment, il a disparu et n’a pas donné le moindre signe de vie. Personne ne sait dire ce qu’il est advenu de lui. On raconte même qu’il serait mort des suites de ce sortilège particulièrement puissant, prononcé pour participer à la victoire de Britannia.
Ainsi se termine le sauvetage de la Bretagne par les bretons et leurs alliés de circonstance. A quel point et de quel poids cela pèsera sur la destinée du pays ? C’est justement de cela qu’il sera bientôt question. Et ce sera votre responsabilité !
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